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Blog de diffusion des nouvelles, bande-dessinées, articles et plus généralement des histoires de Ben Wawe, auteur passionné de Science-Fiction, Fantastique et de Récits de l'Imaginaire.

07 Sep

Apocalyse, Please! - Crossover Lord Corlatius/Drak Béryl

Publié par Ben Wawe  - Catégories :  #Lord Corlatius-Drak Béryl

Apocalyse, Please! - Crossover Lord Corlatius/Drak Béryl

Cette histoire se situe entre la première et la deuxième saison de Lord Corlatius.

Apocalypse, Please !

Drak Béryl & Lord Corlatius

Une goutte tombe.

Lentement, elle quitte une tige sombre et s’élance dans l’air froid et vicié qui l’entoure. Le silence est si étourdissant que sa simple chute est une explosion. En soi, c’est une révolution mais personne ne le sait encore.

La goutte glisse sur le sol aride qui entoure l’immense statue immobile. L’Humanité n’existait pas encore quand la Vie l’a quitté. Mais toute attente a une fin – et un recommencement.

Lentement, la goutte glisse, se divise, se sépare. A chaque fois, sa forme perd de sa consistance dans la terre rugueuse et morte. Elle parcourt les sillons arides et froids, s’oublie jusqu’au plus profond de la terre. Elle n’est plus qu’une minuscule trace de liquide au bout d’une traînée sinueuse et morte au sein de la pierre et de la boue solide.

La goutte s’arrête, immobile ; elle n’a plus la densité suffisante pour avancer. Ce n’est pas grave, elle a rempli son office. Elle est née, elle est tombée – elle a semé.

Lentement, un bruit trouble le silence morbide qui règne sur ce territoire mort.

Un martèlement sourd fait battre la structure de la statue. Elle est immense, divisée en son extrémité en une dizaine de petites tiges ; elle est recouverte d’une sorte de carapace… d’écorce. Celle-ci s’effrite au rythme régulier de coups anonymes mais dont l’écho se ressent sur toute la zone plongée dans l’obscurité. Les tiges sèches vibrent, se brisent et tombent sur le sol. La terre s’ouvre, traçant des tranchées dans la terre aride.

Au bout de quelques instants, un hurlement guttural, animal, s’échappe des racines de l’arbre. Les sillons apparaissent au grand jour, brisant en deux le sol. Les vibrations s’intensifient, jusqu’à ce que toute l’écorce soit tombée.

L’arbre est désormais nu – et ce n’est plus une statue.

La silhouette jusque-là recouverte d’écorce bouge, lentement. Ses longs bras, ses multiples bras jusque-là emprisonnés dans des tiges d’écorce s’ébattent, son torse redécouvre la respiration. Sa gorge tousse pour crier à nouveau, poussant ses poumons à reprendre leurs anciennes fonctions. Ses paupières battent pour habituer ses yeux au Réveil. Sa bouche forme un sourire maléfique quand il comprend le sens du Réveil.

Autour de lui, les autres statues, ses autres frères, s’éveillent. Ils hurlent à l’unisson ; ils sourient à l’unisson.

Devant eux, un cercle lumineux, un portail, apparaît. D’abord blanchâtre, puis jaunâtre, il laisse ensuite entrapercevoir une image troublée, mouvante. Au bout d’un petit temps, elle devient plus nette, moins floue. Elle se concentre sur un endroit précis, une tour immense, majestueuse, triomphante mais également inquiétante. Une construction relativement bien conservée, avec quelques évolutions récentes, mais étonnamment datée, comme si elle avait été montée et arrachée à son Temps précis pour être fixée en une époque qui ne la mérite pas.

Un beffroi. Le Beffroi d’Europazia, capitale des Etats-Unis d’Eurasie, localisé depuis vingt ans sur les ruines de la ville détruite jadis dénommée Lille.

Leurs sourires s’agrandissent.

Leurs bras se plantent dans le sol et les relèvent.

Leurs multiples jambes bougent, lentement, et les dirigent vers le portail – vers le vortex qui les emmènera vers une nouvelle dimension, un nouveau territoire à conquérir.

Ils arrivent. Lentement, ils arrivent. Et personne ne pourra les en empêcher.

***

Ailleurs, plus tôt, plus loin, quelqu’un soupire dans sa bière. Quelques gouttes s’élèvent et tachent le comptoir, attirant le regard sévère du barman. Il ne laisse cette épave dans son établissement que parce qu’il a payé d’avance une dizaine de coups, à un tarif bien supérieur à celui qui le fait vivre ; mais même l’attrait pour l’argent commence à s’effacer devant son envie de rentrer chez lui et de dormir enfin.

Il est trois heures du matin, dans une gargote sombre et malodorante en plein cœur de l’Australie, à quelques dizaines de kilomètre de route de la ville de Darwin, sur la pointe Nord de l’île. Le client est là depuis quatre heures, s’abîmant dans l’alcool et le silence. Son cerveau semble le trahir, d’ailleurs, vu les gestes lents et désordonnés qui l’animent et la bave qui coule lentement sur sa chemise grisâtre et son imperméable noir.

C’est un type vraiment bizarre, d’ailleurs. Il est sorti des terres sans voiture, comme s’il avait marché pendant des heures. Son jean, jadis bleu, est entièrement délavé par la poussière, tout comme son imperméable, sali par plusieurs aventures apparemment peu glorieuses. Son chapeau, une sorte de Stetson, est déformé par deux trous au milieu du crâne. Et l’homme en lui-même, avec des joues creusées, un regard vide, des lunettes brisées vissées quand même sur son nez et des cheveux poivre-et-sel recouverts eux aussi de crasse, ne vaut guère mieux.

Il donne l’impression qu’un camion lui a roulé dessus, et qu’il s’est relevé pour aller boire un verre, le corps dézingué et l’esprit obstrué. Il fait peine à voir, mais surtout tache sur le siège du bar.

Le barman repose le verre qu’il a astiqué pendant cinq longues minutes ; il va le virer, il l’a décidé. L’argent ne fait pas tout, et il a déjà assez ramassé. Et puis, vu l’état du type, il ne résistera certainement pas s’il le brusque un peu.

Cependant, alors qu’il s’approche, une sorte de cercle lumineux apparaît aux côtés du client ; celui-ci ne bronche pas, alors que le barman hurle sa surprise avant d’être lentement… attiré par la chose.

Peu à peu, toutes les chaises, tous les verres, toutes les bouteilles s’avancent progressivement vers le phénomène, qui semble être une sorte de portail ou un trou noir.

Le client ne bouge toujours pas. Ou plutôt, si : il finit sa bière.

Et tourne lentement le visage vers ce qui semble être définitivement un portail, faisant apparaître des rues, des immeubles et des symboles qu’il ne connaît pas, qui sont à un univers de lui –Europazia, bien sûr. Il hausse les épaules et pose un papier sur le comptoir, qui lui non plus n’est pas attiré par le phénomène.

Le barman doit se tenir à un meuble pour ne pas être absorbé par la chose. Un flot terrible de chaises et de verres s’engouffre dans le vortex, à une vitesse de plus en plus folle. Le client se lève enfin et époussète son chapeau, calme, serein.

Il craque sa nuque et s’avance, délibérément, vers le portail, alors qu’il semblait résister à son appel jusque-là.

Et juste au moment où il pénètre entièrement dedans, le phénomène disparaît : plus d’images, plus de cercle, plus d’attraction – et plus de client.

Lentement, le barman se relève, tremblant. Il se précipite sur son comptoir, pour découvrir le papier ; il n’y comprend rien, évidemment.

C’est une carte, une carte de visite. « Lord Corlatius, détective, 221B, Baker Street, Nelson, Canada » avec quelques mots griffonnés dessus : « Adresser facture à ».

Il n’y comprend toujours rien, mais il est vivant, et c’est ça l’important.

Les mains toujours tremblantes, il s’empare d’un balais pour ranger, tentant de réunir ses pensées pour mieux appréhender ce qu’il vient de se passer. Il n’aura jamais le fin mot de l’histoire, il le sent bien, mais il est sûr d’une chose : tout ça, c’est la faute de ce type. Qu’il brûle en enfer, pense-t-il en poussant avec hargne des verres brisés vers un angle mort ; qu’il brûle en enfer, c’est tout ce qu’il mérite.

Ailleurs, plus tard, plus loin, l’objet de sa fureur reçoit la punition tant voulue par le barman.

Mais ce n’est qu’un retour chez lui.

Chapitre 1 : La Mort dans la Peau.

Europazia, 10h31.

Deux jeunes hommes avançaient dans une des rues d’Europazia, capitale des United States of Eurasia depuis 1991, l’architecture était à mi-chemin entre l’européenne et l’asiatique et des affiches faisant la publicité de divers manga ou séries françaises ornaient les murs. L’un d’entre eux était de taille moyenne aux origines japonaises et avec des petites lunettes dissimulant en partie ses yeux. L’autre était brun, aux origines purement européennes et aux yeux marron. Le premier portait un T-shirt avec une cabine bleue téléphonique et le second avait une chemise rouge clair. Tout en avançant vers la Grand’Place, ils parlaient :

« T’es sûr que c’est une bonne idée, Seb ? demanda l’asiatique.

  • Evidemment, Ryu. T’as besoin de sortir, de rencontrer des filles !

  • J’n’en suis pas aussi convaincu que toi. En plus tu sais pas jouer les entremetteurs correctement.

  • Tu changeras d’avis assez vite. »

Ryumaru Nogard et Sébastien Olmes, amis depuis l’enfance : ils se disaient tout, sauf ce qu’ils voulaient cacher. Et le jeune homme aux origines asiatiques en avait plusieurs des choses à cacher, beaucoup de raisons pour lesquelles il ne voulait pas rencontrer de filles – entre autres. C’était d’ailleurs pour ces mêmes raisons qu’il était très hésitant sur le fait de faire une collocation avec son ami, ce qui l’arrangerait pourtant d’un point de vue financier et ce qui lui éviterait de se parler tout seul trop souvent.

Ils continuèrent – tout en avançant - de parler, de tout, de rien, enchaînant les jeux de mots histoire de détendre l’atmosphère un peu tendue étant donné que notre héros était là par dépit, parce qu’on l’y avait forcé et non pas par choix. Quand enfin ils arrivèrent devant cette grande brune aux yeux bleus et aux formes plutôt avantageuses qui les attendait à côté du Beffroi, cette tour plus grande qu’un gratte-ciel qui portait fièrement les drapeaux de l’Union Européenne et du Japon., Ryumaru resta littéralement bloqué pendant plus de 30 secondes. Sébastien le regarda avec un sourire narquois et s’éloigna, histoire de les laisser faire les présentations.

« Salut, moi c’est Emeline.

  • Fascinant…

  • Comment ?

  • Euh…Moi c’est Ryumaru mais tu peux m’appeler… tu peux m’appeler comme tu veux en fait. »

La jeune fille rit et le japonais, gêné au départ puis se rendant compte que son humour décalé l’aiderait peut-être sur ce coup continua dans sa lancée. Il restait les yeux rivés sur Emeline, incapable de détourner le regard de cette dernière.

Pendant ce temps Sébastien explorait le Beffroi : selon les médias c’était le repère d’un des plus grands criminels que l’Eurasie ait connu et qui était mort dans d’atroces souffrances. Et après cet évènement, la ville en accord avec le Président Nakamura lui-même avait décidé de le laisser intact et de le rendre accessible au public. C’était le genre d’endroit rempli d’histoire qu’il adorait, lui qui avait toujours eu une passion pour l’Histoire depuis la Révolution Française jusqu’à nos jours sans trop comprendre pourquoi.

Soudain, il vit une sorte d’étrange lumière commencer à briller en plein milieu ce qui servait autrefois de repère au Grand Patron de la pègre eurasienne. Il était le seul à l’avoir repéré, les autres gens n’y firent pas attention, sans doute était-ce en lien avec ce que lui aussi cachait…

Par réflexe il courut jusqu’à la sortie et bondit pour arriver à une dizaine de mètres du monument, prenant au passage Ryumaru dans ses bras.

« Qu’est-ce qui te prend ? C’est pas toi qui a dit que je devais rencontrer des filles ?

  • Ah, merde… »

Dans un bruit sourd et imprévisible comme le tir d’un sniper, une explosion retentit et emporta le monument historique qui était là depuis le début de l’Histoire de l’ancienne Lille. Tous les gens à l’intérieur avaient brûlé et l’explosion avait projeté Emeline contre un mur avec une puissance phénoménale, dépassant l’entendement humain. Son corps était complètement détruit, à la fois brûlé et ensanglanté, pas besoin d’aller à sa rencontre, c’était évident, elle était morte.

Et pourtant, lentement, sa bouche s’ouvrit et une voix, qui n’était pas la sienne, se fit entendre. Alors que le Beffroi était en ruines, ses murs tenant à peine en entourant des foyers intenses de flammes, que des rues entières étaient jonchées par des gravats brûlants, l’impossible se produisait. Devant les yeux du japonais, encore assis sur le sol suite au choc, qui n’avait miraculeusement rien, la morte parlait ; et dire qu’il croyait avoir tout vu.

« Je savais que ça arriverait… je le savais, mais personne ne m’a écouté, murmurait la jeune femme d’une voix rauque et très, trop, masculine.

  • E… Emeline ? Tu es…vi… vivante ?! hurlait le jeune Franco-Japonais, qui s’était déjà levé, prêt à l’action.

  • C’est vrai que je ne suis pas en forme. Et qu’ils arrivent. »

Le crâne de la jeune femme, pourtant fendu en deux et enflammé, se tourna avec une étonnante douceur vers ce qui restait du Beffroi. La structure avait été brisée, éclatée, et d’immenses tentacules noires commençaient à en sortir pour battre l’air au-dessus de la ruine du bâtiment si célèbre ; et elles grossissaient.

Ryumaru, debout devant Sébastien, allongé, inconscient après son sauvetage éclair, ne pouvait pas bouger. Il était immobilisé, incapable du moindre mouvement alors que les murs du Beffroi, qui avaient résisté à l’explosion, s’effondraient. Quelque… chose essayait de sortir, il le voyait. Quelque chose qui n’avait rien à faire ici.

Quelque chose qui ne devrait pas exister.

Il y avait des tentacules, oui, mais pas uniquement. Outre les vingtaines d’appendices monstrueux, larges de deux mètres environ, long de plusieurs décimètres, des ballons d’émeraude sombre s’échappaient de l’intérieur du Beffroi. Ils explosaient au moindre contact, s’évidant en une sorte de liquide étrange, jaunâtre, qui semblait ronger tout ce qu’il touchait.

De plus, des petites créatures ailées, plus grosses que des chauves-souris, de forme humanoïde, zigzaguaient entre les ballons et les tentacules sombres. Elles fonçaient sur les survivants à l’explosion, et arrachaient membres et crânes d’un seul geste. Le carnage régnait dans le chaos.

Ryumaru ne bougeait toujours pas ; il ne le pouvait tout simplement pas, malgré son entraînement, malgré ses pouvoirs, malgré le costume de Drak Béryl que la transpiration collait à sa peau, sous ses vêtements.

Emeline, cependant, poussa un long soupir, craquant quelques cotes par ce simple geste ; le bruit était terrifiant. Elle tenta de se lever, mais son bras enflammé craqua, suite à la faiblesse de son corps.

En voyant son coude brisé et le sang qui coulait abondamment, la jeune femme s’écroula totalement, son corps retombant lourdement sur l’asphalte salie par l’explosion et le sang ; elle ne bougeait plus, et seul le craquement insupportable de sa peau en train de brûler s’échappait de sa silhouette.

Aussi soudainement qu’elle avait repris la parole, elle s’éteignit, s’échouant sur l’asphalte pathétiquement.

« Je crois que tu dois te pousser, petit, annonça la voix qui s’élevait derrière Ryumaru. Je crois que tout ça te dépasse. »

Instantanément, le jeune homme se retourna et découvrit Sébastien, qui s’était relevé – différent, indubitablement.

Plus droit, plus sûr de lui, une expression nouvelle sur le visage, il n’avait pas grand-chose de son ami, même si c’était toujours le même… c’était toujours son corps, après tout ! L’asiatique recula, instinctivement, alors que les murs du Beffroi s’effondraient définitivement et que les tentacules frappaient les bâtiments aux alentours.

« Seb… Sébastien ? articula-t-il difficilement, les yeux rivés sur son ami qui passait à côté de lui, totalement indifférent.

  • Nan, je crois pas, souffla Sébastien avec une assurance et une arrogance qu’il n’avait jamais connu à son futur colocataire. »

Le jeune homme si mystérieux s’avança dans la rue, alors qu’un tentacule avait écroulé un immeuble à quelques mètres de là. Fixant les créatures ailées, les ballons et les horreurs qui s’échappaient du Beffroi, il poussa un long soupir avant de… s’envoler.

Ryumaru recula à nouveau, clignant des yeux pour être sûr de bien voir ; et c’était le cas.

Sesbastien, son ami, dont il connaissait les habitudes et la vie, qui n’avait jamais dévoilé le moindre pouvoir, la moindre spécificité, lévitait désormais. Il fonçait même à une vitesse forte vers les tentacules principaux, zigzaguant entre les ballons et les créatures ailées, qui harcelaient désormais les survivants.

Une des bêtes humanoïdes tenta de le stopper, mais un coup de coude bien placé la fit reculer ; une autre voulut le propulser vers un ballon d’émeraude, mais Sébastien l’évita et envoya ledit ballon vers la créature. Celle-ci fondit sous l’action du liquide étrange, tandis que son futur colocataire fonçait vers le cœur du problème.

Les tentacules s’enfonçaient dans le sol après avoir ravagé des bâtiments, comme si elles tentaient de lever quelque chose qui était engoncé dans le Beffroi. Une sorte d’énorme sphère sombre apparaissait peu à peu, avec un œil immense, monstrueux, totalement inhumain.

Et Sébastien fonçait à l’intérieur.

Pendant de longues minutes, pénibles, Ryumaru, Drak Béryl, faisait face à l’indescriptible. Incapable de bouger, totalement passif, il parvint finalement à sortir de sa léthargie pour aller au devant des problèmes. Ce n’était pas qu’une question de survie ou qu’une question de responsabilités mais une question d’honneur pour un héros aux attitudes de samouraï.

Sans sortir ses armes ou son costume, à l’aide ses seuls poings, il se précipita vers les créatures ailées, qui s’avançaient encore plus vers les rues, vers les habitants de la ville.

Les coups pleuvaient, les hurlements suivaient, les râles de douleur et les jurons fusaient. A d’autres moments, dans d’autres circonstances, il se faisait appeler Drak Béryl. L’homme qui tentait d’être un héros, un protecteur dans son costume orange et vert à d’autres moments avait toutes les peines du monde à avancer, à faire reculer les monstres, mais il s’acharnait.

Il n’avait été que trop passif face à l’étrange Sébastien et à la mort d’Emeline, il ne pouvait pas continuer ainsi ; l’honneur, la dignité lui commandaient d’agir.

Les minutes s’écoulaient, à nouveau, il n’en avait plus conscience. Le sang, la sueur et la folie régnaient en lui et autour de lui, mais tout cessa dans un cri de douleur… inhumain. Totalement inhumain.

Troublé, surpris, comme les créatures et leurs victimes autour de lui, Ryumaru se tourna vers l’ancien Beffroi ; les tentacules reculaient. Les ballons s’effondraient. Et les monstres s’échappaient.

En quelques secondes à peine, tout le chaos disparut, et des ruines du Beffroi s’échappa la maigre silhouette de… Sébastien. Vivant, miraculeusement.

Calme, paisible, il atterrit à quelques mètres de son ami. Sa chemise était déchirée, son jeans recouvert de sang et d’un liquide visqueux, et tout son corps semblait gluant – mais il était en vie. Et son étrange expression, si arrogante, si sûre, toujours là.

Sans rien dire, il s’approcha d’une boutique anonyme près d’eux, piochant sans vergogne dans les rayons avant de sortir pour rejoindre son « ami » ; autour d’eux, les survivants s’enfuyaient, en direction de secours qui arrivaient encore une fois bien trop tard.

Sébastien avait enfilé une nouvelle chemise blanche, passait un long imperméable sombre sur ses épaules et avait positionné sur son crâne un Stetson de bonne allure.

Un petit sourire passa sur son visage alors qu’il craquait sa nuque et ses phalanges, dans un bruit sec. Il ne s’arrêta même pas devant Ryumaru, qui se dépêcha de le rejoindre et de poser sa main sur son épaule, pour l’arrêter.

« Se… Sébastien ! articula-t-il difficilement, pris par l’émotion du combat et la stupeur.

  • Non, petit, toujours pas, soupira son ami, qui se tourna vers lui, l’air lassé.

  • Mais… mais… qu’est-ce qu’il y a ? Tu… tu voles ?!

  • Oui, répondit-il d’une voix posée, comme si rien autour d’eux n’était anormal, comme si une partie de la ville n’avait pas été ravagée, comme si des vies n’avaient pas été volées par l’indescriptible.

  • Mais… Séb, tu sais pas voler ! Et t’oserais jamais voler non plus ! Et t’as fais quoi pour faire partir ces…trucs ?!

  • C’est vrai… mais je ne suis pas Sébastien. Je ne viens pas de ce monde, petit. Je ne viens pas de cette planète non plus. Je viens d’une autre réalité, d’un autre univers. Ces monstres ne sont pas partis, ils n’ont fait que reculer. Je les connais bien, je suis là pour les stopper. Je viens sauver ta planète, même si elle a l’air d’être la plus pourrie de toutes les Terres que j’ai traversées. Et tu peux m’appeler Lord Corlatius, petit. »

Chapitre 2 : Faim d’informations.

Europazia, 11h03.

Le regard perplexe et interrogateur du jeune héros en disait beaucoup sur ce qu’il pensait de ce « Lord Corlatius ». Le ton sur lequel il lui avait parlé ne lui plaisait pas énormément, il était le seul homme à avoir le droit de se parler comme ça, car oui ça lui arrivait de se parler tout seul. Et la façon dont ce « nouveau Sébastien » lui parlait ressemblait aux dialogues qu’il entretenait avec lui-même.

Mais le pire c’est que même si le franco-japonais ne l’appréciait pas pour le moment, il croyait à son début d’histoire, étant donné tout ce qu’il avait déjà traversé, tout lui semblait possible, surtout après avoir rencontré cet homme au costume rouge et bleu neuf jours plus tôt en fait. Seulement il lui fallait encore plus d’éléments, il n’était pas quelqu’un de naïf à qui on pouvait faire croire tout et n’importe quoi. Une question principale le hantait :

« Ca veut dire que mon meilleur ami vient d’une autre réalité ?! »

En tant que geek de son état et fan de science-fiction, Ryumaru avait saisi tout le discours de cet exilé dimensionnel qui avait balayé un début d’invasion en un clin d’œil mais l’idée que Sébastien vienne d’une autre dimension ne lui plaisait pas forcément, même si ça restait possible. Un effacement de mémoire, un transfert via à un portail dimensionnel et le coup suffisamment puissant pour lui permettre de retrouver ses souvenirs, ça c’était déjà vu dans des séries ou dans des comics…

« Ou alors t’es une de ces créatures qui s’est implanté dans le corps de mon ami pour me tendre un piège ?! » demanda-t-il devant l’absence de réponse.

Corlatius resta silencieux, stoïque devant cet enfant d’une Terre qui n’était pas la sienne. Ce n’était qu’un simple humain, jeune, arrogant et apparemment légèrement capricieux, il ne comprendrait sans doute pas un mot de ce qu’il pourrait lui raconter. Même s’il devait quand même reconnaître une qualité à ce garçon : là où d’autres auraient pensé à une mauvaise blague de la part de leur ami ou auraient pris peur et auraient fui, lui était non-seulement resté pendant toute la bataille mais en plus il tentait de poser des questions pertinentes…

« J’t’impressionne tant que ça ? » questionna Drak Béryl qui attendait désespérément des réponses à ses interrogations…

La question de trop. Dommage le petit partait gagnant pour avoir un autographe ou une photo dédicacée ou même un simple mot gentil mais finalement il n’aurait rien.

De toute façon Ryumaru avait toujours eu une tendance à trop parler, d’où parfois l’utilité pour lui de se parler tout seul et l’explication du nombre d’exclusions de cours dont il avait été la malheureuse victime. Il allait retenter une interrogation quand l’être extra-dimensionnelle plaça son index sur sa bouche et fit :

« T’en as jamais marre de parler ? »

Sans en être conscient, il n’était pas le premier personnage à pouvoir à lui demander une telle chose. Sans attendre une quelconque réponse puisque de toute façon c’était une question rhétorique, Corlatius s’envola en direction des toits, il avait mieux à faire que d’écouter les délires d’un geek. Il avait une réalité pourrie à sauver et une vengeance à prendre…

Le Lord était arrivé sur un toit en à peine trois secondes et-demi, laissant un adolescent perplexe seul dans les ruines de la plus grande ville de l’Eurasie de cette dimension. Mais il avait tort. Il ne s’était pas retourné, il n’avait pas reculé, il voulait juste abandonner cet enfant pour sa propre sécurité mais malgré cela, il entendit la voix du franco-japonais, plus qu’une parole et plus qu’une demande, c’était un ordre hurlé :

« Hé, reviens ! »

Corlatius continua sa course, en lévitation, il n’allait pas demander à Ryumaru comment il était arrivé en haut, néanmoins cette témérité lui plaisait et un sourire se dessina sur « son » visage, enfin sur le visage de Sébastien…

Simplement l’euro-asiatique avait couru et avait grimpé à une échelle pour pouvoir suivre l’être au Stetson. Mais l’autre volait, il avait un avantage certains et selon ses calculs, jamais le geek ne pourrait le suivre. Encore une fois il se trompait, l’homme-dragon bondit pour passer au toit suivant, tout en sortant son sabre pour le planter, s’en servant comme d’une canne pour ne pas s’écraser. Il haletait mais sa détermination restait forte.

« J’ai dit…reviens !

  • Depuis quand on laisse les gosses se balader avec des armes coupantes ? Ta mère t’as jamais prévenu que tu pouvais te faire mal ? »

Et Corlatius continuait d’avancer, sans se retourner. Ses paroles avaient blessé Drak Béryl pour diverses raisons. Raison de plus pour ne pas qu’il abandonne. De toute façon abandonner n’avait jamais été une option : c’était le corps de son meilleur ami que cette « chose » contrôlait et c’est avec ce même corps qu’il avait l’air de vouloir sauver le monde…ou faire autre chose, il ne savait pas exactement.

« Tu me prends pour un con ? Tu crois que tu peux débarquer comme ça d’une autre dimension et tuer des monstres en te servant d’un corps qui n’est pas le tiens ? Et qu’en plus je vais rien faire ?!

  • Ecoute petit, t’as pas fait ta crise d’adolescence ? Eh bien, sache que c’est pas parce que t’as un sabre que tu peux tout te permettre.

  • Je n’ai pas juste un sabre. »

Tant pis. Nogard n’avait pas le choix. Il pourrait très bien y avoir des témoins, peut-être même des journalistes zélés armés de caméras et d’appareils photos mais il n’avait pas le choix. Il pourrait peut-être utiliser une technique spéciale pour se cacher mais il n’avait ni suffisamment d’expérience ni suffisamment de temps pour la trouver. Pour Séb, il devait le faire. Une grande inspiration suivie d’une énorme déflagration, voilà comment le jeune homme réglait ses problèmes.

Corlatius esquiva la déflagration sans problème mais pour la première fois depuis leur rencontre, il resta figé, affichant un regard surpris. Perplexe, il venait de comprendre d’où venait la fougue de ce jeune homme et il se retourna, ayant pour seule réaction :

« C’est donc ça ce que les Gardiens du Multivers appellent un super-héros ?

  • Les quoi ? demanda un Ryumaru encore essoufflé par sa course et l’utilisation de ses pouvoirs.

  • Laisse. Tu es étonnant, petit. Et je peux avoir besoin de toi.

  • Je… je veux juste aider, en fait, bredouilla le jeune homme, surpris du brusque changement d’avis de Corlatius.

  • Et tu veux aussi que ton ami récupère son corps. En fait, tu veux m’aider pour que je dégage de là, c’est ça ? fit l’étranger en souriant et en s’avançant calmement vers le rebord du toit sur lequel ils se trouvaient.

  • Mais… je… enfin…

  • Pas la peine, gamin. C’est toujours la même chose, souffla Corlatius, lassé. »

Il faisait face à la ville, ravagée pour une grande partie. Les secours arrivaient partout, et bientôt ils s’interrogeraient sur l’origine de ces choses et pourquoi elles avaient disparu aussi rapidement. Malgré l’efficacité des Tourmenteurs, les saloperies ailées qui avaient massacré plusieurs citoyens et passants, il y aurait des survivants qui auraient vu son action, et toute la flicaille locale partirait à sa recherche – à leur recherche, même.

S’il ne s’en était pas rendu compte, Corlatius comprenait maintenant qu’il avait emmené ce gamin inconnu dans cette histoire. Sans le faire exprès, il l’avait associé à son attaque en prenant possession du corps de son ami. Même si la police avait autre chose à faire, elle remontrait un jour à l’autre jusqu’à lui… jusqu’à eux, d’ailleurs.

Il ne pouvait pas rester là. Et Ryumaru non plus.

Lentement, il se tourna vers ce type, ce gamin aux pouvoirs bizarres, incompréhensibles pour lui mais sûrement liés à une quelconque mutation ; c’était à la mode, dans la majorité des mondes parallèles qu’il avait visités. Dans l’un d’entre eux, il avait même vu d’autres gosses de l’âge de l’euro-japonais, menés par un vieux chauve bizarre, avec des sortes de costume, or et bleu… un truc immonde, immettable, insupportable. Glauque.

Ses yeux se rétrécirent sur la figure de son « acolyte ». Il n’avait pas demandé d’allié, mais… il ne pouvait pas le laisser ici. Il n’aimait pas travailler en équipe, mais… il avait des pouvoirs, et semblait savoir comment s’en servir.

« Nous devons partir… Ryumaru, c’est ça ? Ryu, je crois, annonça-t-il d’une voix forte, cherchant dans les souvenirs de Sébastien des informations sur son camarade du jour.

  • Partir ? Pourquoi ?

  • Une partie de la ville est détruite, des Tourmenteurs, des Bulles Ocres et Liktallzzz ont tenté de l’envahir. Beaucoup m’ont vu avec toi avant de m’envoler pour les chasser. Et je n’ai aucune envie de répondre aux questions de votre police.

  • Tourmenteurs ? Bulles Ocres ? Et c’est quoi un… Liktalzzz ? Et où on irait ? fit Drak Béryl, incapable de suivre cet étranger qui semblait parler définitivement une autre langue.

  • Cordouan, au large de la Gironde. Du moins, si c’est comme ça que vous appelez ici l’Ouest de la France… je ne me ferai jamais à ces foutus changements entre réalités.

  • Je… oui, mais…

  • Viens, on n’a pas de temps à perdre. »

Sans prévenir, Corlatius prit Ryumaru au col et le projeta dans les airs, au-delà du rebord, au-delà du toit. Surpris, le jeune héros mit quelques secondes à réagir. D’abord incapable de comprendre ce qu’il se passait, il laissa son corps prendre les commandes pour se sauver – mais c’était trop tard.

Malgré son mouvement désespéré, visant à attraper sa lame pour l’embrocher dans l’immeuble et freiner sa chute, l’épée ne fit que rebondir contre la paroi. Il tombait bien trop vite pour user de ses pouvoirs et de son entraînement. Une sueur froide n’avait même pas le temps de couler le long de son dos : il allait mourir. Ici, maintenant. Sans même avoir pu voir la fin de sa série préférée.

« Pathétique, hurla une voix dans son oreille gauche. »

Ryumaru sentit deux bras solides passer sous ses jambes et sa nuque. Sa chute terrifiante se stoppa net alors que Lord Corlatius l’emportait dans le ciel encore sombre et tourmenté de la ville. Il avait récupéré quelques secondes plus tôt l’arme lâchée par l’euro-japonais, et secouait la tête de dépit.

Il avait des pouvoirs, oui… mais rien de vraiment utile pour se déplacer !

« Tu ne voles donc pas, siffla Corlatius entre ses dents alors qu’il s’élevait au-dessus des nuages, portant toujours comme un sac de patates celui qui se faisait appeler Drak Béryl.

  • Euh… non. J’aurais pu te le dire, hein, ça aurait été plus… calme, parvint à énoncer à voix haute le jeune homme, toujours incapable de comprendre vraiment ce qu’il venait de se passer.

  • Et beaucoup moins drôle. »

Ryumaru leva les yeux vers Corlatius, qui ne lui accorda aucun regard ; il était terrifiant, et… troublant. Il semblait si infect, si insupportable, mais en même temps tellement cool aussi… il ne savait pas comment réagir. Devait-il s’opposer à lui ? Le surveiller ?

Il possédait le corps de Sébastien, après tout, il était un danger pour son ami. Mais il était aussi le seul à avoir pu repousser l’attaque de toutes ces choses… il était le seul à savoir ce que c’était. Et à pouvoir les arrêter.

« Où… où va-t-on ?

  • Dans une gare. Je crois qu’il y en a une, bientôt. Nous allons prendre le chemin le plus cours pour aller en Gironde, et après nous irons à Cordouan, énonça avec un ton neutre et concentré Corlatius, qui continuait à regarder devant lui en volant au-dessus des nuages.

  • Pour… pourquoi ?

  • Pour les stopper.

  • Pour stopper qui ? »

Corlatius poussa un long soupir. Le voyage allait être difficile.

« Les autres. Liktallzzz, l’énorme monstre qui était dans le Beffroi n’était que le début : il a été chassé, mais ses camarades, ses frères et sœurs, vont tenter leurs chances. Et Cordouan est leur passage préféré après un échec.

  • Je… je connais même pas…

  • C’est normal : c’est une île qui apparaît et disparaît fréquemment avec les phénomènes maritimes et la marée. Il y a plusieurs structures de ce type dans le monde, des choses que les scientifiques ne comprennent pas encore réellement. Des volcans, ou des terres au-dessus d’un volcan, qui poussent suite à des changements thermiques et tectoniques dans la structure même de la Terre. Les savants expliquent ça grâce au hasard ; ils se trompent.

  • Ah ?

  • Oui. Ce n’est pas par hasard que Cordouan apparaît, ou que Ferdinendea se retrouve à l’air libre – Ferdinendea étant une île de ce genre entre l’Italie et la Corse. Ce sont des passages, des vortex, des canaux entre les mondes. Et plus spécifiquement entre ce monde et celui de ces créatures. Vous avez eu un Lovecraft dans ce monde ?

  • Quoi ?

  • Howard Philippe Lovecraft, 1890-1937 ? Ecrivain, créateur de nouvelles, de l’univers de Cthulhu ? Monstres mythiques, tentacules, etc. ?

  • Ah… oui, oui. J’en ai entendu parler étant donné ma « passion pour la littérature », murmura Ryumaru, alors qu’il n’avait jamais posé les yeux sur les œuvres de l’auteur.

  • Bien. Lovecraft était un Illuminé, un être capable de voir entre les dimensions et les mondes. Quelques élus, chaque génération, peuvent ainsi découvrir comment les autres réalités évoluent. La plupart d’entre eux deviennent fous, sont tués par leurs proches, mais pas Lovecraft. Elevé essentiellement par ses deux tantes, qui le couvaient, il a pu découvrir le monde de ces créatures – qu’on appelle l’Anté-Monde, d’ailleurs. Et il a consigné ses rêves, ses fantasmes et ses illuminations dans ses œuvres. Tu vois donc ce que nous devons affronter. »

Lentement, il baissa son allure pour se diriger vers le sol. Après avoir passé les nuages, les deux surhumains apparurent un peu au-dessus d’une des gares principales d’Europazia. Si la ville avait été touchée à quelques kilomètres de là, tous les trains n’avaient pas encore été bloqués par les autorités. En réalité, Corlatius avait compté là-dessus pour rejoindre rapidement l’Ouest de la France, et échapper aux questions compliquées de fonctionnaires bourrus et obtus.

Il se posa sur le sol, et laissa son « acolyte » sauter de ses bras, pour que chacun retrouve sa dignité ; même si celle de son camarade était déjà bien entamée.

« Cordouan est un signe, Ryumaru. Elle n’apparaît que rarement, sur tous les mondes que je visite. Et, à chaque fois, elle prépare l’arrivée de menaces, différentes mais toujours liées à l’Anté-Monde : c’est généralement le lieu de passage. Après l’attaque de Liktallzzz, il n’y a plus de doutes : Cordouan est le signe d’une invasion. Et nous allons l’arrêter. »

Calmement, Corlatius s’avança vers la gare, prêt à monter dans un train pour le plus court trajet vers la Gironde. Derrière lui, le jeune homme suivait, subissant plus la situation qu’autre chose. Il ne savait toujours pas ce qu’il se passait vraiment, mais il visualisait les créatures de Lovecraft : si les mêmes devaient apparaître à Cordouan, il devait faire quelque chose ; même s’il ne savait pas quoi.

Son camarade d’autre-monde, lui, était troublé. S’il voulait paraître détendu, sûr et déterminé devant l’homme qui se faisait appeler, en costume, Drak Béryl, il ne l’était pas autant intérieurement. Il n’avait pas imaginé que Liktallzzz soit le premier : s’il était l’éclaireur, vu sa puissance, il était vraiment à craindre que leurs prochains opposants soient terrifiants. La crème des troupes de l’Anté-Monde, qu’il devrait stopper seul – ce qu’il n’avait plus fait depuis des siècles ; depuis qu’il avait été expulsé de l’Anté-Monde, lui qui avait été jusqu’alors son seul et unique général.

Le bon vieux temps était définitivement loin.

Et c’était une bonne nouvelle pour ce monde.

Chapitre 3 : Une odeur pestilentielle.

Campagne française, 14h08.

Le chapeau vissé sur l’avant de son crâne, les yeux fermés, Ryumaru avait l’impression que Corlatius avait décidé de se reposer après toutes ces émotions. Lui-même aurait bien repris les forces qui lui manquaient s’il n’était pas paradoxalement excité par tout ce qui venait de passer. Il savait que le monde, aussi fou que cela pouvait paraître, était en danger et qu’il, et là ça devenait vraiment inconcevable, était un des deux seuls pouvant le sauver.

Il allait faire face au plus grand défi de sa vie – même s’il avait l’impression qu’à chaque nouvelle épreuve, c’était toujours la plus grande. Théoriquement, il aurait dû penser à ses proches, songer aux amis absents et disparus, espérer être digne de son héritage et de son honneur ; normalement, il aurait dû être absorbé par ses réflexions et réfléchir à la meilleure façon de quitter ce monde héroïquement.

Or, la seule chose à laquelle pensait le jeune franco-japonais, la seule idée qu’il pouvait formuler se résumait assez simplement : c’était cool d’être avec un voyageur dimensionnel.

Drak Béryl fixait Corlatius depuis leur départ. Vêtu toujours de ses habits sales, puants et recouverts des matières visqueuses issues des envahisseurs d’Europazia, il n’était pas à l’aise mais n’en tenait pas compte. Ses yeux étaient rivés sur la silhouette immobile devant lui, les pieds posés sur le siège en face, les bras croisés, le chapeau baissé comme Indiana Jones.

Il avait la classe – mais c’était quand même un sale con.

Plus de deux heures plus tôt, ils s’étaient introduits discrètement dans une des gares de la ville, pour partir vers la Gironde et l’île qui venait de ressortir des eaux : Cordouan. Selon Corlatius, elle était le signe d’une invasion à grande échelle de la part de l’Anté-Monde, une dimension parallèle peuplée de monstres ayant inspirés à H.P. Lovecraft ses nouvelles.

Leur mission était de prendre un train, pour fuir la ville et les questions que la police allait immanquablement leur poser sur la manière de gérer une telle invasion. Or, si l’euro-japonais s’était naturellement dirigé vers les automates délivrant des billets, Corlatius lui avait fait signe de le suivre et avait violemment agressé un contrôleur.

Avec quelques coups précis et bien placés, il avait frappé le visage d’un homme deux fois plus grand que Sébastien, le propriétaire initial du corps que le voyageur dimensionnel contrôlait depuis peu. La face boursouflée, les bras ballants, l’employé des trains avait été étendu avec une sauvagerie rare, qui avait réellement choqué Ryumaru.

Lui qui voulait défendre la Justice et sa vision personnelle de l’honneur avait du mal à accepter un tel comportement ; ce n’était pas bien – ce n’était pas digne.

« Tu sais, tu peux me poser des questions : je suis réveillé, murmura Corlatius au grand étonnement du jeune homme.

  • Hein ? Quoi ?

  • Je sais que tu me fixes, annonça d’une voix plus sûre son interlocuteur en se relevant et en enlevant son chapeau.

  • Je… oui, c’est vrai, avoua difficilement l’homme-dragon, qui dut détourner le regard ; voir en lui autre chose que Sébastien devenait de plus en plus compliqué.

  • Qu’est-ce que tu veux savoir ? »

Le jeune franco-japonais resta pensif, longuement. Des dizaines de questions trottaient dans son crâne, sur les dimensions, sur l’Anté-Monde, sur les monstres, sur la personne même de Corlatius – mais il ne pouvait pas toutes les poser. Il réfléchit encore quelques secondes, avant de se décider et de fixer, pour la première fois, ses yeux dans ceux de l’autre.

« Quels sont vos liens avec ces Lik…ces Licktails…ces créatures, Corlatius ?

Le Lord poussa un long soupire, il savait que cette question finirait par arriver. Des tas des souvenirs horribles revenaient soudain le hanter et il prit un temps de réflexion tout en fixant son jeune compagnon avant de répondre d’une voix assurée :

  • Je te l’ai déjà dit, non ? Je suis un nomade, un voyageur spatio-temporel, un genre de Gardien et je chasse ces… choses.

Ryumaru sentait de la haine dans l’expression de son ami et se posait donc encore plus de questions qu’auparavant. Cependant, il n’osa pas trop en demander pour l’instant, espérant juste qu’il en saurait plus avec le temps.

  • Puisque j’ai répondu, jouons au jeu de « je te pose une question, tu m’en poses une ». A moi donc : depuis que je t’ai rencontré tu m’intrigues. Tu es puissant, tu parles et tu agis comme un être qui a des centaines d’années d’expériences mais tu n’as pas l’arrogance d’un extra-terrestre, d’un être venu d’une autre dimension, d’une créature mythique ou même d’un mec qui a une machine temporelle : à l’intérieur comme à l’extérieur tu restes un adolescent ; j’en déduis que tu es humain. Par conséquent d’où te viennent tes pouvoirs, qui sont je présume juste de cracher du feu ?

  • J’ai le don de cracher du feu mais je pense qu’en l’exploitant, je peux faire sortir du feu par tous mes orifices…Quoi qu’il en soit, c’est compliqué à expliquer, disons juste qu’ils sont liés à mon sabre. expliqua l’eurasien sans vouloir en dévoiler trop sur ses origines et la façon dont il avait choisi sa voie. Et t’avais pas plus long comme question ?

  • Intéressant. Je pouvais faire plus court mais j’aime penser à haute voix. Par contre tu as perdu ton tour en posant par réflexe une question stupide et dénuée d’intérêt. Encore à moi.

  • Mais…

  • On ne dit pas « mais » à l’entité la plus cool du Multivers, compris ?

  • Oui c’est très clair, comme le fait que vous avez posé votre question.

  • …Bien vu.

  • Parfait ! En fait je me demandais surtout ce que vous avez vus dans les différentes dimensions que vous avez visité.

  • Elles se ressemblent toutes plus ou moins et sont basées sur des variables X ou Y. Des futurs alternatifs, des univers en guerre, il y a de tout….le plus intéressant était un univers où toutes les époques de l’univers avaient convergé en un seul point, sur Terre. Mais étrangement je n’ai jamais vu aucun univers semblable au tiens, il est particulier…Comment est née Europazia ?

  • Conséquence de la Guerre Froide.

  • La Guerre Froide, une période passionnante et qui est la cause de tellement de dimensions ! L’Empire d’Amerika est en place ?

  • Il me semble pas. Mais vous posez pas un peu trop de questions ?

  • Si, mais tu en poses autant que moi ! »

Soudain, sans trop savoir si c’était le stress, la fatigue ou un mélange de tout, les deux héros éclatèrent de rire. Finalement sans pour autant l’apprécier, Corlatius trouvait son jeune compagnon très sympathique…pour un simple humain. Et Drak Béryl trouvait ce type au chapeau de cow-boy de plus en plus cool, même s’il continuait de se méfier de lui. Cette scène, ce rire naturel lui rappelait des moments vécus avec Sébastien quelques heures ou quelques jours plus tôt.

Mais la joie apparente masquait les doutes et les peurs de chacun. Cette série de questions avait rappelé des souvenirs traumatisants aux deux hommes et soulevait de nouvelles interrogations alors que des secrets le restaient. Pourquoi Corlatius chassait-il les créatures ? Pourquoi le franco-japonais était il devenu un héros alors que des dizaines d’autres opportunités s’offraient à lui ? Evidemment, un aveu restait en suspens : l’adolescent ne pouvait pas avouer qu’il sauvait le monde en pyjama vert et orange, ça faisait pas cool.

« Au fait, si tu as un costume… mets-le, il risque d’y avoir des caméras et de ce que j’ai compris tu cherches à préserver ton identité. C’est mieux comme ça, profites tant que tu peux encore le faire. »

Le train n’allait pas tarder à arriver, et Corlatius avait raison : malgré l’honneur et toutes les valeurs morales qui y sont associées, la discrétion et la préservation de son identité étaient primordiales pour Nogard, surtout qu’il savait qu’il était surveillé par le gouvernement Eurasien depuis déjà plusieurs mois.

En tant que clandestins, nos deux héros s’étaient placés dans un endroit du train où ils ne pourraient pas être vus avant leur sortie, mais Drak Béryl s’éclipsa quand même relativement loin de l’être venu d’une autre dimension pour qu’il ne puisse pas le voir pendant qu’il se changeait.

Pendant l’attente, « Sébastien » pensa énormément à tout ce qui était en train de se passer. Les murs entre les dimensions étaient affaiblis en ce moment et c’était en partie à cause des créatures de l’Anté-Monde. Aucun monde ne se remettait complètement d’une attaque de ces monstres mais celui-ci semblait vraiment différent des autres. Plus sensible aux problèmes d’ordre « multiversel »…ce qui n’était pas forcément une bonne chose. Et le processus qui allait bientôt se déclencher…

« Alors, t’en penses quoi ? »

Interrompu dans son raisonnement par cette voix d’adolescent, le Lord fixa le jeune humain, son costume vert et orange avec le « D » sur la poitrine et ce masque de ninja, se retenant d’afficher un sourire narquois. C’est pas qu’il n’aimait pas le costume mais on voyait directement que c’était un adolescent qui l’avait confectionné et qu’il avait essayé de l’améliorer mais ce faisant il révélait plus ou moins ses origines. Ainsi ce n’était pas réellement un moyen de cacher son identité mais plutôt le miroir de sa personnalité, le « vrai » Ryumaru Nogard était révélé par cet accoutrement et quelqu’un qui le connaissait bien n’aurait pas de mal à deviner qui il était.

« Ton pyjama te donne un air très…ARRGH ! »

Soudain saisit d’un violent spasme, l’extra-dimensionnel ne put finir sa phrase et se retint à la barre derrière lui pour ne pas s’écrouler au sol. Il reprit son souffle et tenta de démarrer une nouvelle phrase sympathique et cynique à la fois. Mais cette fois un spasme plus violent le fit balbutier une phrase incompréhensible, même pour lui, et il serait tombé si le franco-japonais ne s’était pas jeté sur lui pour le rattraper. Ca y est, le processus commençait et personne n’en serait ravi.

« Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda le samouraï de feu.

  • C’est rien…prononça difficilement un Corlatius tremblant de toute part, luttant contre les crises, conscient que son acolyte ne le croirait pas.

  • C’EST RIEN ?!

Le hurlement du héros vert et orange raisonna dans tout le wagon. Sa rage était incommensurable et par-dessus les spasmes il secoua le Lord, affichant un regard noir derrière les yeux blancs du masque.

  • T’ES DANS LE CORPS DE SEBASTIEN ALORS NE DIS PLUS JAMAIS QUE C’EST RIEN !

Le Dragon plaqua Corlatius contre le mur. Ce dernier comprit alors que l’heure des révélations était venu. Tant pis, ils auraient au moins passé un bon moment.

  • Es-tu prêt à tout entendre ?

  • Evidemment.

  • Pour faire court il nous reste environ 44 heures et 17 minutes.

  • Avant quoi ?

  • Réponds !

  • Prendre le contrôle d’un corps implique des risques pour l’hôte. Mes pouvoirs « poussent » à l’intérieur de Sébastien. 48 heures après la fusion, il mourra. Soit dans maintenant 44 heures et 15 minutes. Je suis désolé.

Le sang de Ryumaru ne fit qu’un tour et il dégaina son sabre, le pointant vers Corlatius.

  • Tue moi, tue ton ami et condamne cette dimension si ça t’amuse !.

  • Ce n’était pas mon intention. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

  • Regarde ta réaction d’humain pathétique et égoïste ! Qu’aurais-tu fait si je t’avais prévenu ?! Ose me dire que tu aurais foncé vers l’aventure avec un sinistre inconnu plutôt que de chercher à me faire sortir de ce corps ! On aurait perdu encore plus de temps que ce qui était prévu ! »

Un silence pesant s’abattit pendant quelques secondes qui parurent des heures. Drak Béryl savait que l’autre avait raison. Il rangea son sabre, même si ça le répugnait de savoir que son meilleur ami était condamné.

« Cependant, ne pleures pas. Si je sors de ce corps avant le délai imposé, il vivra.

Ces mots étaient une véritable lueur d’espoir pour le Dragon.

  • Alors, finissons-en. »

Corlatius replaça son manteau et repositionna son chapeau sur son crâne. Ryumaru s’était retourné et fixait l’extérieur, alors que le train était en train d’arriver en gare ; quelque chose était brisé entre eux, ils le savaient. S’ils avaient commencé à s’apprécier et à se rapprocher lors du voyage, le voyageur dimensionnel sentait que ce lien avait disparu.

Il le comprenait, bien sûr : ce devait être insupportable de découvrir un proche manipulé, possédé et absorbé par un visiteur inopportun. Surtout, l’injustice était encore plus inacceptable quand l’hôte était innocent, pur… normal. Et Sébastien semblait l’être, au vu des souvenirs et des réflexes qu’il commençait à mieux appréhender.

En effet, si ses propres pouvoirs apparaissaient de plus en plus à l’intérieur du jeune homme, le processus allait dans les deux sens : au fil des heures qui s’écoulaient, inexorablement, Corlatius en apprenait plus sur sa victime – et souffrait d’avantage de devoir lui imposer une telle agonie.

Sébastien commençait à devenir plus qu’un corps. Son amitié pour Ryumaru, ses tics de paroles, sa façon de faire des phrases immenses et trop longues… tout cela commençait à devenir normal pour lui. Il commençait à adopter les réflexes du jeune adulte, et il savait que le temps pressait s’il voulait le laisser survivre – s’il voulait lui laisser son corps.

« Sortons, annonça d’une voix neutre l’étranger.

  • Bien. »

La voix de Drak Béryl avait été froide, inhumaine ; Corlatius acquiesça et pénétra dans le couloir du wagon. En quelques enjambées souples et dynamiques, il parvint à la porte et l’ouvrit à la vole tandis que le train était encore en train de freiner. Son idée était de se jeter sur le quai pour échapper aux curieux et partir rapidement vers l’Océan, pour rejoindre Cordouan.

Hélas, il aurait dû savoir que ses plans ne fonctionnaient jamais comme ils le voulaient.

Alors que la porte s’ouvrait en grand, une foule d’une trentaine de personnes s’amassait déjà sur le quai. Surpris, décontenancé, il ne put prévenir à temps Ryumaru, qui fonçait tête baissée pour ne pas avoir à fixer la silhouette de son ami possédé. Le jeune héros bouscula alors Corlatius, et apparut directement à ceux qui attendaient l’arrivée du train.

En réalité, la foule était rassemblée pour fuir. Après l’attaque d’Europazia, le monde entier avait été informé de la catastrophe et les autorités ne parvenaient pas à gérer efficacement la crise. Tous ceux qui ne se terraient pas au fond de leurs caves voulaient rejoindre les campagnes ou les grands espaces, dans l’espoir imbécile d’échapper au pire.

La présence de tous ces désespérés ne tenait donc qu’à leur besoin irrépressible de fuir – mais tout changea quand ils virent le costume orange et vert.

Jusque-là, Drak Béryl n’avait été qu’une rumeur, qu’une légende urbaine dont beaucoup se moquaient et riaient. Même si son action avait eu des impacts, même si des gens de plus en plus différents évoquaient sa présence rampante et protectrice, la majorité de la population n’y croyait pas ; elle ne pouvait pas y croire, tout simplement.

Cependant, tous connaissaient le « gros » des racontars, sur le costume, le style… bref, l’allure générale du ninja coloré. Et ils le reconnaissaient.

Pendant de longues secondes, un silence assourdissant emplit le quai. Violent, brutal, il agressait les sens tant il était inapproprié en présence d’une telle foule. Et, comme si quelque chose venait d’être libéré après une trop longue attente, ils crièrent – tous.

Néanmoins, leurs hurlements n’étaient pas vindicatifs, agressifs ou haineux : ils étaient… positifs. Encourageants. Pleins d’espoir.

Ils sautaient, levaient les poings, criaient pour Drak Béryl – ils l’encourageaient. Sitôt qu’ils l’avaient vu, ils avaient compris : il existait. La rumeur était vraie. Quelqu’un, quelque chose, protégeait ceux qui en avaient besoin et veillait ; et il était là, maintenant. Pour arranger. Pour sauver. Pour les sauver.

Corlatius avait profité des hurlements et de la folie ambiante pour disparaître dans la foule et se rapprocher de l’extérieur. En quelques instants à peine, il fut en dehors de la gare, se dirigeant à pieds et en silence vers l’Océan.

Dans quelques minutes, il savait que Drak Béryl s’éclipserait après avoir profité d’un bain de foule sûrement mérité. La tension reprendrait entre eux, et ils devraient aller au-delà de leurs différences pour tenter de sauver ce qui pouvait encore l’être. Mais, pour le moment, il s’autorisait à un léger sourire en imaginant ce qu’était en train de vivre Ryumaru. C’était peut-être la part de Sébastien en lui, c’était peut-être ses émotions qui reprenaient enfin le dessus, mais… il était heureux pour lui.


Drak Béryl allait devoir affronter l’enfer – et pire encore.

Il méritait de profiter d’un peu de gloire et de bonheur avant. Ce ne serait peut-être pas le cas après – et il n’y aurait peut-être pas d’ « après ».

Chapitre 4 : This Means War.

Cordouan, 19h17.

« Cor… Corlatius… ? », bégaya une voix fatiguée et pâteuse.

Les paupières de Ryumaru se relevaient difficilement, recouvertes de gravats, de poussière et… de sang. Tout son corps était douloureux, chacun de ses gestes semblait plus violent, plus difficile que d’habitude. Ses mains tremblaient, ses jambes refusaient ses ordres et il avait un point immense sur la poitrine.

« Corlatius ? », reprit-il sur un ton légèrement plus appuyé.

Alors que les secondes passaient, le jeune homme reprenait conscience et découvrait la situation. Sur son torse était plaqué plusieurs amas de roche sombre, si noire qu’elle semblait sortie d’un tableau terrifiant ou maléfique. Son costume était en lambeaux : hormis son masque, dont toute la partie gauche avait été rapiécée, quasiment tout le vêtement était déchiré, arraché. Des dizaines de bleus recouvraient son corps, des dizaines de plaies le faisaient souffrir et il sentait une terrible douleur dans le bas du dos. Chaque geste était une torture.

« Corlatius ?! », hurla-t-il malgré sa voix brisée.

Avec les forces qui lui restaient, Ryumaru chassa les roches noires et terrifiantes de son corps, et rampa sur le côté pour se dégager entièrement. En jetant un regard derrière lui, il découvrit que son dos avait été griffé par des… lames ? Non, des bouts de lame. D’une épée, qui avait été brisée et qui lui avait ravagé le corps lorsqu’il était tombé dessus.

Cependant, comment s’était-il retrouvé à chuter sur une lame brisée ? Que s’était-il passé ? Et à qui appartenait cette lame ?

« CORLA… », cria-t-il encore plus fort avant de s’arrêter.

Ses yeux venaient de retrouver toutes leurs facultés : il pouvait voir entièrement la zone autour de lui – et il venait de se souvenir à qui appartenait l’épée. Et ce qu’il s’était passé.

« Par mes ancêtres… », murmura-t-il en sentant l’enfer s’ouvrir sous ses pieds – et c’était ce qui était arrivé, hélas.

L’épée était celle de Corlatius, qu’il avait récupéré sur le continent avant de prendre le bateau, le petit véhicule rapide qui leur avait permis de rejoindre discrètement Cordouan. Une île étrange, issue des profondeurs de l’océan et qui disparaissait et réapparaissait au gré des bouleversements marins – et surnaturels.

Rares étaient ceux qui le savaient, mais Cordouan était en réalité un indicateur de l’état d’avancée de l’invasion sur Terre de l’Anté-Monde, une dimension parallèle peuplée de monstres terrifiants ayant inspirés le bestiaire de H.P. Lovecraft. Et le jeune franco-japonais faisait malheureusement partie des informés, maintenant… et devait en profiter pour sauver la planète ; ça ne fonctionnait pas bien, pour le moment.

Alors qu’il se relevait difficilement, que ses genoux et ses jambes le faisaient affreusement souffrir, les souvenirs affluaient – péniblement.

Corlatius et lui avaient quitté la Gironde et le continent à bord d’un petit bateau rapide, subtilisé discrètement à un propriétaire qui avait de toute façon déjà quitté la région. Même si les créatures n’avaient pas encore attaqué toute la planète, la population locale avait eu vent des drames d’Europazia et elle avait découvert avec terreur Cordouan, bien différente de ses autres apparitions.

Désormais recouverte de roches noires, surmontée d’énormes nuages sombres et terrifiants, elle dégageait une ambiance, une atmosphère dérangeantes – dégoûtantes. Naturellement, les gens en avaient peur et voulaient la fuir ; évidemment, Ryumaru et Corlatius avaient foncés tête baissée dans cet enfer.

En s’avançant douloureusement sur la plateforme rocheuse sur laquelle il se trouvait, le jeune héros se rappelait de l’échec cuisant qu’ils avaient subi en tentant de stopper l’invasion de l’Anté-Monde.

Des Tourmenteurs, des Bulles Ocres et des dizaines de Liktalzzz avaient fondu sur eux. Du ciel, de l’eau et de la terre étaient sortis des monstres cauchemardesques, que même les talents combinés de Drak Béryl et de Corlatius n’avaient réussi à stopper.

Ces instants étaient beaucoup plus flous, en réalité. Alors que Ryumaru tentait de gravir un énorme rocher pour découvrir le reste de l’île et voir où en était l’invasion, il avait du mal à se souvenir réellement de ce qu’il s’était passé. Tout avait été rapide, violent et… vain.

Même si Drak Béryl avait déchaîné ses capacités, même s’il avait été plus rapide, plus dur, plus efficace que jamais, il n’avait pas réussi à l’emporter. Corlatius lui-même avait tout tenté : en volant, en frappant, en brisant, il avait fait montre de pouvoirs exceptionnels, que le jeune héros n’avait jamais imaginé chez lui. A certains moments, le voyageur dimensionnel avait même semblé si puissant, si rapide que rien ne pouvait le toucher ou l’arrêter – et Ryumaru n’avait pas eu honte d’admettre qu’il avait eu peur de ce que son allié pouvait faire en se déchaînant autant.

Cependant, étonnamment, Corlatius avait lâché prise : soudainement, il avait ralenti sa vitesse, baissé la puissance de ses coups, laissé aller… et avait été vaincu.

Touché en premier, tabassé même par des Tourmenteurs, il avait failli être sauvé par le jeune franco-japonais qui s’était emparé de l’épée du voyageur dimensionnel, mais plusieurs Bulles Ocres s’étaient réunies pour exploser juste devant lui. Propulsé au loin par le souffle et le choc, il s’était retrouvé sur cette portion de Cordouan – et tout prenait sens.

Ils avaient échoué. Ils avaient tenté, mais ils avaient entièrement foiré.

Où était Corlatius ? Où en était l’invasion ? Et… avaient-ils encore une chance ? Est-ce que tout était déjà fini ?

Alors qu’il parvenait au sommet du rocher qu’il avait gravi avec difficulté, Ryumaru découvrit… un cauchemar.

Des milliers de Tourmenteurs, de Liktalzzz, de Bulles Ocres étaient rassemblés. Des milliers d’autres créatures de malheur évoluaient autour d’eux, et tous faisaient face à un… monstre. Il semblait n’y avoir pas d’autre mot pour définir l’énorme amas de chair beige informe, recouverte de pustules vertes, de tentacules jaunâtres, d’yeux globuleux rouges et d’autres éléments qu’il ne parvenait même pas à observer.

Le jeune franco-japonais n’eut même pas honte de vomir en découvrant cette vision de terreur. L’invasion était prête, et tous semblaient être décidés à marcher enfin sur la Terre qu’ils attendaient depuis si longtemps. Leurs bruits, leurs paroles, leurs odeurs étaient dégoûtants – et il avait peur.

Il était seul, face à la multitude – face à l’enfer.

Il était seul face au Mal.

« Qui… qui êtes-vous… ? », murmura sur le côté une voix faible.

Immédiatement, Ryumaru se tourna, prêt à se défendre même s’il se sentait incapable de se battre à nouveau. Il relâcha immédiatement la pression de ses poings en découvrant la silhouette étonnamment frêle de Corlatius… enfin, de son ami Sébastien actuellement possédé par le voyageur dimensionnel.

« Corlatius ? Vous êtes vivant ? », fit le jeune héros qui sentait soudainement l’espoir revenir enfin.

« Corla… tius ? C’est qui ? Et… merde, cette voix… Ryu ? C’est toi ? », murmura encore le nouvel arrivant, qui n’avait ni chapeau, ni lunettes et n’avait plus grand-chose du voyageur dimensionnel.

« Sé… Sébastien ? C’est… toi ? », demanda, choqué, le jeune homme.

« Euh… oui… je suis Sébastien… Ryumaru ? C’est toi dans le costume ? », fit un jeune homme stupéfait et blessé, qui semblait être totalement perdu par tout ce qu’il se passait. Ses vêtements étaient également rapiécés, comme toute une partie du masque de Drak Béryl – d’où sa déduction de l’identité du héros – et plusieurs plaies étaient également présentes sur tout son corps. Il était terrifié, ça se sentait clairement.

« Je… par mes ancêtres, il… Corlatius… il n’est plus là… »

Le jeune franco-japonais avait compris vite : Sébastien était de retour dans son corps, parce que Corlatius l’avait quitté. Comment ? pourquoi ? Il n’en savait rien, mais il était encore plus terrifié. Sans le voyageur dimensionnel, il n’avait aucune chance de vaincre, mais si celui-ci avait été extrait ou tué du corps de son ami – ça voulait dire que leurs ennemis étaient beaucoup trop forts pour lui.

Tout espoir était mort. La planète était morte. Ils n’avaient aucune chance.

« Oh putain ! C’est quoi ce truc ? C’est quoi ce truc ?! », hurla un Sébastien terrifié en pointant du doigt quelque chose derrière Ryumaru. Avant même de se retourner, l’intéressé savait ce qu’il se passait. L’ennemi les avait découvert et passait à l’attaque.

C’était fini – tout était fini. Mieux valait tout abandonner, et se laisser faire. Ce serait plus rapide, ce serait…

Stupide.

Quoi ? C’était quoi, ça ?

C’était moi.

Qui ça, moi ? Merde, c’est quoi cette voix dans ma tête ?

A ton avis, champion ?

Cor… Corlatius ? Vous… vous êtes en moi ?

Et oui, gamin. Et je crois qu’il est temps de lâcher ton potentiel, ou bien ton pote et toi ne serez bientôt plus que des sex-toys pour Liktalzzz – et crois-moi, mieux vaut éviter.

Je… qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je dois faire ?!

Inspire un grand coup, ferme les yeux et lâche tout. Je te guiderai. Laisse sortir la Bête en toi, gamin. Tu n’as de toute façon plus rien à perdre.

Instinctivement, le jeune homme ferma les yeux et se retourna. Il ne pouvait pas distinguer visuellement la créature, il pouvait juste sentir son odeur et l’entendre, son esprit la décrivait comme une abomination, la pire de toutes les choses du Multiverse. Mais la peur avait disparu tout comme le désespoir au moment même où Corlatius était entré dans son corps.

Le courage, la bravoure et d’autres sentiments glorieux ne les avaient pas remplacés pour autant ; sa terreur avait disparu pour laisser place à une confiance en soi, une arrogance surdéveloppée. Il n’avait plus peur car il savait comment les battre : c’était aussi simple que ça.

Un long soupire. Une pensée à j’aurais mis « pour » Sébastien qui se trouvait derrière lui. Drak Béryl sentait toute son énergie le parcourir. Pour la première fois depuis qu’il avait récupéré ce foutu sabre, pour la première fois depuis qu’il avait craché du feu et compris que quand les autres lui disaient que son humour n’était pas humain, il se sentait lui-même.

Et dans un second soupire, cette fois beaucoup plus puissant, il poussa, souffla et finalement lâcha… une énorme déflagration qui en à peine 5 secondes réduisit en poussière le Liktalzzz !

C’est… wow, c’est fascinant…

Mais c’est aussi la plus grosse de toutes les flammes que tu aies un jour fait jaillir.

En même temps, c’est pas tous les jours que je suis pénétré par une entité à la puissance incommensurable ! Enfin, si j’peux me permettre…

Exact, et tu peux. Tu n’as encore rien vu, gamin.

Un sourire se dessina derrière le masque déchiré du héros. Son arrogance, il la tenait du Lord, en partageant son esprit, il partageait ses pensées, sa façon de parler et d’agir ainsi que ses souvenirs…

Et là, comme une branche se brisant à cause du vent, le sourire disparut.

Fini de jouer Corlatius, je sais qu’on peut aller plus loin mais je ne marche plus dans tous les sens du terme jusqu’à ce que tu m’expliques ton lien avec les Liktalzzz.

Je te l’ai déjà dit, non ?

Ne me mens pas, je suis dans ta tête.

Tu l’auras voulu, gamin.

Et là, les images se formèrent dans l’esprit du franco-japonais qui vit les scènes de vie de son « colocataire d’esprit » défiler devant ses yeux, il avait presque la sensation d’être présent, de les vivre lui-même. Il aurait été persuadé si la voix de son « ami » ne résonnait pas dans sa tête.

Je t’ai ouvert les portes de mon subconscient. Tu me remercieras si tu y survis.

Le jeune homme assista alors impuissant à des choses qui s’étaient déjà produites mais surtout des choses horribles que même son esprit – l’esprit le plus tordu d’Europazia, à sa connaissance – n’aurait pu imaginer.

Tu…Vous…

Reste calme.

Tu es l’un d’entre eux ?!

Oui.

Le héros fut soudain prit d’une étrange sensation de malaise.

Depuis le début il s’en doutait mais l’apprendre dans de telles circonstances et en ayant la capacité de voir la véritable forme de Corlatius, ça le traumatisait. Son propre esprit était paralysé, incapable de bouger, de dire ou de penser quoi que ce soit.

Et ils m’ont banni, me condamnant à une vie d’âme errante, au sens propre du terme.

Ne dis rien ! La ferme !

La force lui était revenue, l’espace d’un instant.

Ces choses sont les pires créatures de tout le Multiverse et ils t’ont banni ?! Tu n’agis donc pas par justice mais juste par vengeance. Est-ce que ça veut dire que tu es pire qu’eux ?!

Corlatius ne répondit pas.

Ce gamin, pas plus grand que son dernier compagnon et avec une expérience beaucoup plus faible que la sienne, avait raison. Il commençait à le connaitre aussi bien que lui-même ; le fait de voyager ensemble et de partager le même corps devait sûrement aider.

C’est pas l’heure, petit.

Voilà tout ce que le Lord avait trouvé à dire tout en fermant les portes de son subconscient, faisant revenir Ryumaru à la réalité. Encore une fois, le partage du corps influençait le fait qu’il utilise des répliques cultes des séries de science-fiction que cet Eurasien admirait. En parlant de l’Eurasien, il était à genou et souffrait le martyr avait mal partout, ses yeux lui piquaient et il se retenait de cracher du sang.

Je t’avais prévenu. Effet secondaire de la libération de mon subconscient.

En ajoutant à ça les dégâts corporels et psychologiques causés par les créatures ayant inspiré Lovecraft ainsi que les découvertes troublantes qu’il avait faites, le jeune homme ne pouvait nécessairement pas se sentir bien.

Allez debout soldat, je t’ai montré ce que tu voulais. Maintenant on a un univers à sauver.

Attends, une dernière chose.

Quoi encore ? Non, ne dis rien, je lis dans tes pensées.

Le regard de Drak Béryl - et par conséquent celui de Corlatius – se tourna vers Sebastien. La réponse de l’être venu d’une autre dimension n’allait pas forcément plaire au jeune homme mais c’était soit ça…

Soit on le laisse là ?

Exactement. Emmenons-le avec nous. Ca ne durera plus longtemps maintenant que j’ai découvert comment fonctionnait ton potentiel. Et avec toi, il sera…

Plus en sécurité.

Tout à fait. On dirait que tu lis dans mes pensées.

Le héros, sans parler pour éviter que sa voix confirme son identité à Sebastien, lui fit signe de le suivre tout en restant à distance pour éviter d’être blessé, ce qui est en soit très compliqué à expliquer par un simple signe. Les deux jeunes hommes avancèrent, l’un inquiet et l’autre rempli d’une foi inébranlable en ses capacités, pour la première fois depuis son retour à Europazia, finalement.

Les trois âmes ne tardèrent pas à faire face au « nid » des Liktalzzz, l’horreur, la peur « personnifiée », l’enfer sur Terre. Les plus grands héros de la Terre et plus encore auraient reculé mais Ryumaru n’était pas de ceux-là.

Après tout, ces créatures étaient celles qui avaient manqué de le tuer, lui et son/ses ami(s) et même si ce n’était peut être pas les mêmes qui avaient ravagé SA ville, c’étaient leurs semblables. Rien que pour ça elles méritaient de mourir.

Tu sais qu’en raisonnant comme ça, tu vas devenir pire que moi ?

Je fais pas ça tous les jours.

Brave petit.

Le samouraï vert et orange se jeta alors au centre de ce camp de destructeurs d’univers, plantant son sabre pour atterrir de la façon la plus cool possible. Evidemment, son arrivée fut remarquée : des dizaines, des centaines d’yeux globuleux et terrifiants se portèrent sur lui, surpris et déconcentrés dans leur préparation de l’invasion à venir.

Et puis, évidemment, tous réagirent et les premiers se jetèrent sur lui.

Le regard perçant, il esquiva une créature qui tentait de le dévorer. Habituellement il n’aurait pas été capable de ce genre de mouvement mais n’oublions pas que c’est le Lord lui-même qui le contrôlait.

Et maintenant il allait lâcher son arme secrète, la chose la plus puissante de l’univers relâchée par le corps du héros, par des...des claquements doigts faisant apparaitre des flammes tout autour des monstres ?

C’est ça ton plan de génie ?!

Non, c’est l’intro musicale.

C’est-à-dire ?

Hell’s Bells, AC/DC. Ca te dit rien ? Les jeunes de maintenant, aucune culture…

Même si la référence échappait au jeune homme, ça fonctionnait bien. Ces choses…avaient peur du feu et tentaient de s’en éloigner. Une nouvelle attaque venant du dessus, encore une fois Béryl l’esquiva, tenant fermement son sabre dans la main gauche.

Proclame une victoire éternelle, viens et change le cours de l’Histoire. Et sors-nous de là.

Ryumaru affichait un large sourire au centre de cette armée de créatures. Il ne pensait pas pouvoir gagner, il savait qu’il sortirait vainqueur de cette bataille car il n’était plus juste le Drak Béryl, de même que le Lord Corlatius n’était plus véritablement lui-même. Ils étaient en parfaite symbiose, partageant un même corps et une pensée unique : la Victoire. Ils étaient devenus la chose la plus puissante du Multivers : le Drak Corlatius.

Même si le voyageur dimensionnel s’en voulut d’avoir pensé à un tel concept en même temps que le gamin. Celui-ci avait trop regardé les Power Rangers, ça les infectait tous les deux. Foutu MegaZord.

« Alors, c’est parti ! »

Sur ces mots, des flammes commencèrent à sortir des bras du Dragon, puis de ses jambes, puis de toutes les autres parties de son corps jusqu’à devenir lui-même un être de feu. La sensation qu’il ressentit à ce moment précis était incomparable à n’importe quelle autre, il avait atteint la plénitude, une plénitude basée sur la rage et engendrant la destruction. Le véritable potentiel du Drak Corlatius venait d’être libéré et cette déflagration était comparable à une supernova.

Les Liktalzzz les plus courageux tentèrent de s’avancer mais furent carbonisés dès le premier contact tandis que leurs congénères fuyaient. Leur défaite était imminente, inévitable et ils venaient de le comprendre. Une nouvelle île surgissant de nulle part allait apparaitre dans une autre dimension, c’était leur porte de sortie, ils n’avaient qu’à passer la brèche pour éviter brûler dans cet enfer sur Terre déchainé par leur pire ennemi et son « compagnon ».

Dans le subconscient de Nogard, alors que la déflagration repoussant les monstres était de plus en plus forte, ce dernier fit face à un Drak Béryl portant un Stetsone et une longue veste noire.

« Il y a deux moi ?! s’exclama le jeune homme, surpris.

  • Non, je suis Corlatius, seulement avoir le même costume que toi me semblait plus pratique.

  • Pourquoi ne pas montrer ton véritable visage ?

  • On me l’a pris, comme tout le reste quand…j’ai été banni. avoua difficilement le Lord. Mais le plus important c’est que je peux te retourner la question.

  • Comment ?

  • Je suis dans ta tête, on est dans ta tête. Et tu portes ton costume.

  • Et alors ?

  • Laisse moi finir ! Le plus intriguant c’est qu’il y a des tas de choses dans ta tête, des souvenirs de tes amis, de tes ennemis, de ton père, de ta mère…Certaines choses reviennent plus que d’autres, j’ai même vu un chauve hurlant « Régis-Robert ! » et pourtant, je n’ai pas vu une seule trace de toi en civil, Drak Béryl est omniprésent dans tes pensées. Et si le véritable masque c’était ton visage, tu y as déjà pensé, héros ?

Le ton de Corlatius était grave et résonnait comme un avertissement. Ryumaru ne répondit rien, sachant pertinemment que l’autre avait raison de toute façon. Ce n’était pas le premier « héros » que le Lord rencontrait mais jamais il n’en n’avait jamais vu d’autant impliqué. D’ailleurs c’était sans doute pour cette même implication que le jeune homme était un geek une fois privé de son costume : ce besoin de se plonger dans des histoires où le sort du monde et de l’univers était en jeu et parfois se mettre dans le rôle du « sauveur » sur console. Mais là, c’était la vraie vie et là il était réellement en train de sauver une dimension. Comme pour faire partir le silence tombé après la question gênante de Corlatius, il demanda naïvement :

  • Et…pourquoi on est dans ma tête ?

  • De « Drak Corlatius », ton corps est passé à la supernova, faisant de lui une conscience pure, tout ce qui se trouve à l’intérieur se réfugie ici, dans ton subconscient. Par contre, on peut quand même voir ce qui se passe à l’extérieur.

Corlatius claqua des doigts pour faire apparaitre le champ de bataille autour des d’eux. Le feu, les créatures apeurées, fuyantes, agonisantes, c’était…Impressionnant.

  • Fascinant ! On se croirait dans le final d’un manga ou…

  • C’est bien mieux que ça, gamin. C’est l’Apocalypse !

Les deux sauveurs de cet univers affichaient le même sourire, on aurait pu croire qu’ils se connaissaient depuis des dizaines d’années. Mais le sourire du Lord s’effaça peu à peu alors qu’il posait sa main sur l’épaule de Ryumaru.

  • On a gagné, petit. C’est l’heure de se dire au revoir.

  • Pourquoi ?

  • Les Liktalzzz fuient dans d’autres lieux, je me dois de les poursuivre, sinon….Disons que je sais bien de quoi ils sont capables…

  • Evidemment. Et…

  • Non, je ne peux pas te proposer de venir avec moi. J’aimerais beaucoup mais ce serait égoïste. On ferait une super équipe mais tu as un univers à protéger. Et Sébastien. D’ailleurs, de peur et de fatigue, il s’est évanoui, il ne devrait pas se rappeler de qui tu es vraiment. Ou je l’espère pour toi.

  • Tu as vu des choses particulières dans sa tête ?

  • Disons que…Non. »

La supernova était terminée, Ryumaru ouvrit les yeux, presque nu sur l’île, son costume était en lambeaux et lui haletait alors qu’autour de lui il n’y avait que le chaos, la désolation et des restes de créatures.

Il est parti ?

Toujours pas. J’ai un dernier avertissement pour toi.

Encore ?

L’arrivée comme la fuite de mes semblables causent des brèches dans chacun des univers, j’ai pour habitude de les refermer mais ton univers est particulier…J’ai énormément de mal. Ta dimension restera éternellement fragile.

De toute façon c’est pas tous les jours qu’on rencontre de menaces d’ordre multiversel ?

Bien sûr que non. Mais prends garde. A ça et à beaucoup d’autres choses...Bref, il est temps que j’y aille si je veux les rattraper. Je t’offrirais un cadeau en partant, il ne faut pas que les autorités viennent te récupérer. Au revoir, Drak Béryl, ce fut un honneur pour moi de te rencontrer, j’espère sincèrement que nos chemins se recroiseront, dans d’autres circonstances.

« Moi de même, Corlatius. »

Le temps qu’il prononce cette phrase, Ryumaru s’était retrouvé téléporté – portant Sébastien – dans son appartement à Europazia. Comme si tout ça n’avait été qu’un rêve. Mais les blessures et le fait qu’il soit nu prouvaient que ça ne l’étaient pas et les journaux du lendemain attesteraient que « Drak Béryl et l’homme au Stetsone ont boycotté l’Apocalypse », reste à savoir maintenant qu’est-ce que l’avenir réserverait au franco-japonais, à son ami et surtout qu’est-ce que deviendrait Corlatius ?

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À propos

Blog de diffusion des nouvelles, bande-dessinées, articles et plus généralement des histoires de Ben Wawe, auteur passionné de Science-Fiction, Fantastique et de Récits de l'Imaginaire.